>> BRÈVES <<

> VIIe CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT-YVES

Cette année, les fêtes traditionnelles de la Saint-Yves prendront une importance exceptionnelle car elles marqueront le 700e anniversaire de sa mort survenue en 1303. Pour marquer l'importance qu'il attache à cette commémoration, Jean-Paul II a décidé de se faire représenter ce 18 mai à Tréguier par un envoyé spécial, le cardinal Mario Francesco Pompedda, préfet du Suprême tribunal de la Signature Apostolique.

Le cardinal Pompedda (74 ans) est né en Sardaigne, il a fait toute sa carrière dans les services juridiques du Saint Siège. Il n'avait que quarante ans quand il fut nommé auditeur de la Sacrée Rote Romaine dont il était doyen, quand, en 1999, le pape le nomma préfet du Suprême Tribunal de la Signature Apostolique, et il a été créé cardinal lors du dernier consistoire. La Signature Apostolique est à la fois la Cour de Cassation et le Tribunal des Conflits du Saint-Siège. Ce tribunal est le juge ultime des procès matrimoniaux, et aussi des recours contre les jugements des ordinaires. Ainsi, un prêtre qui s'estime frappé injustement d'une suspense ou d'une interdiction a divinis finit-il par porter sa cause devant cette instance. Pour honorer saint Yves qui est le patron des hommes de loi, il n'était pas possible de faire un meilleur choix que de désigner un grand juriste ecclésiastique.

On dit communément que saint Yves est le patron des avocats, c'est vrai mais il n'est pas que cela : il est en fait le patron des hommes de loi et cela englobe, en plus des avocats, aussi bien les notaires, les huissiers, les avoués, que les magistrats et même tous les policiers titulaires d'un diplôme en droit.

Saint Yves appartenait à une famille noble du diocèse de Tréguier, il naquit au manoir de Kermartin en 1253. Il se distingue très vite par son intelligence et sa piété. Il part pour Paris, puis Orléans, faire ses études de droit aussi bien ecclésiastique que civil. Il n'a que vingt-sept ans quand l'évêque de Rennes le choisit comme official de son diocèse. Aujourd'hui, les officialités diocésaines et même métropolitaines n'ont plus guère de pouvoir, leur principale fonction se limitant aux cas de nullité de mariage ; elles demeurent toujours compétentes pour juger les clercs coupables de fautes graves, malheureusement certains évêques négligent ce rôle. A l'époque de saint Yves il n'en allait pas de même, le civil et le religieux s'imbriquant étroitement, les compétences d'un official étaient très étendues. Sous le prétexte de ratione peccati l'Eglise s'efforçait d'étendre ses compétences bien au-delà des seules affaires religieuses, ce qui fait qu'un official avait à juger de causes civiles aussi souvent que de causes religieuses.

Saint Yves exerça ses fonctions au moment où les pouvoirs des officialités atteignaient leur apogée. A la fin de sa vie, sous le règne de Philippe le Bel, les légistes de la cour du roi de France commençaient à étendre leur pouvoir et à restreindre les attributions des juges ecclésiastiques. L'official de Rennes devint vite célèbre par l'austérité de sa vie et son intégrité absolue, il jugeait en toute équité sans faire acception de personne. Il y avait des juges ecclésiastiques qui ne demeuraient pas insensibles aux présents qui pouvaient leur être faits, tel n'était pas le cas d'Yves de Kermartin, qu'on nommait parfois Yves Hélory en raison du nom de son père. Le bruit de ses vertus se répandit rapidement dans toute la Bretagne et l'évêque de Tréguier, Alain de Bruc, se souvint qu'il était originaire de son diocèse. Il lui confia la charge d'official de Tréguier en 1284. Ce fut seulement à ce moment qu'il fut ordonné prêtre et reçut le bénéfice de la cure de Trédrez. En 1292, il devint recteur de Louannec et entra par voie d'héritage en possession du manoir de Kermartin. Il reçut très vite le surnom d'”Avocat des pauvres”, car non seulement il mettait toute sa science à les défendre, mais il leur distribuait l'intégralité de ses revenus.

Epuisé par ses austérités, il mourut en 1303 et l'Eglise ne tarda pas à en faire un modèle pour tous les gens de justice qui n'avaient pas toujours bonne presse : Advocatus et non latro, res miranda populo (avocat et point voleur, chose admirable pour le peuple).

Sous l'égide du bâtonnier Jean-Pierre Morin, les fêtes de la Saint-Yves, qui rassemblent des légistes venus du monde entier, devinrent l'occasion d'importants colloques qui débattent de grands problèmes relevant de la morale et du droit (tél. : 02. 96. 92. 32. 20). Alors que certains pèlerinages sombrent dans l'oubli, le culte de saint Yves demeure très vivace et dépasse infiniment les limites de l'ancien diocèse de Tréguier, car il demeure un exemple irremplaçable de vertus pour tous ceux qui sont engagés au service de la justice.

> CHARLES PEGUY

Dans le grand débat entre les chrétiens augustiniens, qui accordent très peu à l'homme, et les humanistes dévôts ou jésuites, pour qui le fonds naturel reste bon, Péguy est plutôt du côté des seconds. Pascal méprise même l'art (” Quelle vanité que la peinture !... ”), ” cet ardent sanglot qui monte vers Dieu ”, disait pourtant Baudelaire. Tandis que Péguy reste en admiration devant les châteaux de la Loire, sa Loire : créations de l'homme, lui-même créé par Dieu...

Pascal a été formé à l'école de la géométrie, Péguy serait plutôt du côté de la biologie. Mais les mains propres, c'est bon pour Kant : ” le kantisme a les mains pures, mais il n'a pas de mains. Nous avons nos mains calleuses, nos mains noueuses, nos mains pécheresses, nous avons quelquefois nos mains pleines ”.

Péguy, théologien de l'Incarnation, sait que Dieu travaille avec la pâte humaine, les oeuvres humaines les plus dégoûtantes : qu'il s'est incarné dans la descendance d'un roi David adultère (ex ea quae fuit Uriae...) ; que son Evangile s'est répandu grâce à l'unification du monde méditerranéen par la soldatesque romaine :

” Il allait hériter des lourds légionnaires Gainés dans des étuis comme des scarabées... ”

C'est pourquoi Péguy peut être d'un grand secours à l'homme mûr (Clio : ” Voyez l'homme de 40 ans... Il sait le grand secret... Il sait que depuis qu'il y a l'homme nul homme jamais n'a été heureux... ”). Quand les enthousiasmes lyriques, les discours édifiants ont cessé de nous toucher, Péguy est là pour nous dire qu'il est normal de chuter, que l'on soit laïc ou clerc (l'important n'est pas ce que ” les curés ” font, mais ce qu'ils enseignent), et que l'essentiel est de continuer son cheminement de chrétien, dans la boue et les imperfections : ” les grandes choses du monde n'ont jamais été des choses très bien faites... quand c'est si bien fait que ça, ça ne réussit jamais... ”

Lui-même n'était un modèle ni dans son caractère orgueilleux, ni dans ses hésitations sur le dogme (il refusait à la fois le pardon à ceux qui l'avaient offensé et les peines éternelles de l'Enfer), ni dans sa vie privée tourmentée (mariage purement civil, enfants non baptisés, puisque sa femme le refusait). Sa mort à la tête de sa compagnie d'infanterie, lors de la contre-attaque de la Marne, le 5 septembre 1914 à 17 h, a balayé tout cela. ” Si je ne reviens pas, vous irez à Chartres une fois par an... ”, disait-il aux amis. Sa veuve et ses enfants se firent baptiser.

> BIENHEUREUSE RESTITUTA

A Kafka, il y a désormais une seconde personne célèbre dans les dictionnaires allemands. Ce patronyme, qui signifie choucas en tchèque, est non seulement celui du grand écrivain de langue allemande, né à Prague, mais aussi d'une religieuse né à Stehlik (Hussowitz) en Moravie le 1er mai 1894, qui a été béatifiée par Jean-Paul II à Vienne le 22 juin 1998.

Il est regrettable que l'homélie de béatification et un article de Famille chrétienne (24 mars 2001) mentent, au moins par omission, sur les vraies raisons de la condamnation à mort de Soeur Restituta, comme s'il était permis de dire n'importe quoi sur l'Allemagne des années 1939-1945 (il est vrai qu'en France la loi Gayssot de 1990 rend obligatoire de dire n'importe quoi sur ce sujet). Soeur Restituta avait certes violé les consignes du directeur nazi de la clinique en faisant bénir clandestinement un nouveau bâtiment et en apposant des crucifix dans toutes les pièces, ce qui fait dire à Jean-Paul II : ” Bien des choses peuvent nous être enlevées, on ne nous enlèvera pas la croix comme signe de salut ”. Mais ce n'est évidemment pas cela qui entraîna son arrestation le 20 février 1942.

En réalité, Soeur Restituta avait été surprise à dicter des textes antinazis à une secrétaire. Elle fut condamnée à mort, par le Tribunal du Peuple de Vienne, pour trahison et aide à l'ennemi. C'est probablement son refus de dire de qui elle tenait ses textes, outre la détérioration de la situation militaire (chute de Stalingrad le 31 janvier) et donc du moral des populations, qui entraîna l'exécution de la sentence le 30 mars 1943.

Il est donc tout à fait abusif de la part du Vatican de la présenter comme une martyre de la foi et de la célébrer en ornements rouges. Pas plus que Jeanne d'Arc (qu'on célèbre en blanc), soeur Restituta n'a été tuée en haine de la foi chrétienne, et l'on peut approuver ou désapprouver ses engagements dans la vie publique. C'est seulement pour ses vertus de charité et de fidélité au Christ à travers les pires embuches qu'elle est vénérable. Les embûches commençèrent d'ailleurs de bonne heure pour Helena Kafka : sixième des sept enfants d'un cordonnier et d'une fleuriste d'origine tchèque (et non morave), qui vinrent s'installer à Vienne, elle eut à soigner un bégaiement tenace, à vaincre l'opposition de ses parents (pourtant pieux) à sa vocation, à travailler dès 15 ans comme fille de cuisine, puis vendeuse, avant d'entrer à 19 ans chez les franciscaines de la clinique de Lainz, près de Vienne, où elle fut aide-soignante ; bonne-vivante, elle avait comme tous les saints (sauf l'Immaculée) ses faiblesses (la bière et le tabac) ; elle devint en religion Soeur Restituta (surnommée ” Resoluta ” pour son caractère), du nom d'une sainte martyre d'Afrique du Nord au IVe siècle, dont les reliques parvinrent à Naples au IXe.

©2004 : http://ententecatho.free.fr