Un tableau inconnu de Rubens (1577-1640) représentant le massacre des Saints Innocents a été vendu aux enchères en juillet 2002. Il a été acquis pour la somme record de 40 millions de livres sterlings. Par un musée américain, peut-être. Ce chef-d'oeuvre n'a pas à proprement parler été découvert . Il sommeillait dans la collection d'un particulier, qui, dit-on, ne l'aimait pas. Lorsqu'il a souhaité s'en défaire, on s'est alors avisé qu'il s'agissait d'une oeuvre magistrale. Elle n'était tenue jusque-là que pour un travail d'élève (Van den Hoecke).
(Le tableau de Rubens exhumé [142 x 182 cm])
Mais l'essentiel est ailleurs, dans le sujet, aussi difficile que terrible : Alors Hérode, se voyant joué par les Mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans (Mt. 1,2).
Rubens peint un véritable ballet. Un ballet d'assassins, qui piétinent et poignardent les enfants et leurs mères. Cruel mais sensuel. Pour nous faire admirer leurs anatomies parfaites, les bourreaux ont omis de revêtir leurs cuirasses. Seul le centurion est casqué ; il exécute l'ordre d'Hérode ! C'est bien dans la manière du maître de prendre prétexte de ce crime atroce, comme d'une fête galante ou d'une chasse au fauve, pour nous montrer toute sa maîtrise du dessin, de la composition, du coloris. D'abstraire le sujet, en fin de compte, en virtuose.
Van Haarlem, à sa suite (1620-1683), traitera le sujet de façon formelle : les soldats sont nus, leurs muscles saillent, ils empoignent femmes et enfants à bras le corps, avec une violence inouie, comme des bêtes.
La composition diffère, en revanche. Les protagonistes, chez Van Haarlem, plus nombreux, fuient le centre de la toile. Et la scène est éclairée par une lumière blafarde, qui contraste avec les tons chauds utilisés par Rubens.
Le Massacre des Innocents est un thème classique, incontournable même. Giotto l'a peint dans la chapelle des Scrovegni. Donatello, Guido Reni, Cornelis Schut, Léon Cogniet... du XIIIe au XIXe, les plus grands peintres ont donné leur interpr´tation. Citons en outre les bas-reliefs de la cathédrale de Chartres, les vitraux de celle de Reims, et une châsse magnifique conservée à Limoges, dont les parois sont toutes dédiées à cet assassinat collectif.
La version de Poussin (1594-1665) était la plus fameuse jusqu'à l'exhumation de ce remarquable Rubens.
Le Massacre des Saints Innocents de Poussin (XVIIe)
Malgré cette mère, au premier plan de la toile de Rubens, qui défend sa progéniture bec et ongle, sa robe rouge comme un flot de sang déversé au premier plan, il s'agit là d'un exercice de style : Brueghel lui-même (1525-1569), avec son goût de noyer le sujet de ses tableaux dans des décors agrestes minutieux, nous fait mieux saisir la brutalité du massacre perpétré grâce à une mise en scène soignée. Ce n'est qu'un village sous la neige, tout ce qu'il y a de plus banal, pourrait-on croire. Sauf qu'une vive agitation règne sur la place, à y regarder de plus près. En s'approchant encore, on en comprend la cause, en découvrant un homme agenouillé, qui demande grâce. On est lentement dessillé, on aperçoit le corps d'un enfant ensanglanté qui rougit la neige, des femmes qui tentent de s'interposer ; à droite des soldats enfoncent une porte à coups de madriers...
Un mot du choix de Léon Cogniet (1794-1880) : il a le mérite d'être original. Ni sang ni glaives. Comme chez Brueghel, c'est du cinéma : pas un plan large cette fois, mais un plan serré sur la douleur et la terreur d'une mère qui tente de cacher son enfant pour qu'il ne soit pas égorgé sous ses yeux. L'intensité dramatique de l'événement est palpable.
Et si ce Massacre des Saints Innocents était, aussi, un sujet d'actualité ? La comparaison entre les petites victimes d'Hérode et les enfants que l'on élimine aujourd'hui dans le ventre de leurs mères est peut-être exagérée. Force est de constater, du moins, que les Droits de l'Homme n'empêchent pas la barbarie, la suppression impitoyable de vies humaines innocentes, comme au temps d'Hérode, quand ils ne servent pas è la justifier...
D. Heldar
Aussitôt que l'ordre barbare du roi commença à s'exécuter, notre grande reine vit que son fils priait le père éternel pour les parents de ces enfants et qu'il offrait ces jeunes victimes qui mouraient, comme les prémices de sa rédemption. Elle vit qu'afin que ces innocents fussent sacrifiés au nom de leur rédempteur, il demanda pour eux l'usage de la raison et qu'il récompensât leur mort par la gloire et la couronne des martyrs. La sainte Vierge connut que le père éternel avait accordé au verbe incarné toutes ces demandes.
Marie d'Agréda, La Vie de la Sainte Vierge.
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